« Gestion publique et contrôle des Finances publiques
sous la Restauration »
 
in
L’invention de la gestion des finances publiques. Elaboration et pratiques du droit budgétaire et comptable au XIXe siècle (1815-1914)
dir. Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott, Lucile Tallineau, Comité pour l’histoire économique et financière de la France et Institut de la Gestion publique et du développement économique, Paris, 2010, pp. 159-168
 
 
Michel Bottin
Faculté de droit
Laboratoire ERMES
Université de Nice-Sophia Antipolis
 
 
Pour citer l’étude :
Michel Bottin, « Gestion publique et contrôle des finances publiques sous la Restauration », in  L’invention de la gestion des finances publiques. Elaboration et pratiques du droit budgétaire et comptable au XIXe siècle (1815-1914), dir. Philippe Bezes, Florence Descamps, Sébastien Kott, Lucile Tallineau, Comité pour l’histoire économique et financière de la France et Institut de la Gestion publique et du développement économique, Paris, 2010, pp. 159-168.
 
   
 
 
La Restauration ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire des Finances publiques de la France. Les préoccupations d’ordre, de clarté et de rigueur deviennent dominantes. L’Etat, qui jusque là, pensait trouver dans la libre gestion de l’argent public le fondement de sa puissance financière découvre les avantages qu’offre une définition de la règle du jeu.  Son cadre général est fixé par ce qu’on appelle la procédure des « quatre temps alternés » :
- Le Gouvernement prépare le budget, dépenses et recettes, et propose la répartition entre les départements ministériels et les moyens nécessaires pour le balancement.
- Les Chambres se prononcent sur ces choix.
- Le Gouvernement exécute.
- Enfin, après exécution, les Chambres exercent un pouvoir de vérification.
Ce programme de travail a été fixé dès le 22 juillet 1814 par le Baron Louis ministre des Finances de Louis XVIII. Il est conforme à la Charte et en traduit l’esprit. Il trace un cadre budgétaire nouveau auquel les débats parlementaires apporteront progressivement les aménagements indispensables. La mise en œuvre de la nouvelle procédure de gestion des Finances publiques est pour cette raison un pur produit de l’histoire parlementaire de la Restauration.
On en connaît les données de base : un roi qui accepte que le gouvernement dialogue avec les Chambres ; des députés et pairs libéraux qui défendent des solutions parlementaires proches des pratiques anglaises très favorables au Parlement ; des députés et pairs royalistes –ultraroyalistes comme les appellent leurs adversaires- qui considèrent que la défense des droits du roi et du gouvernement passe prioritairement par un perfectionnement de la gestion des Finances publiques tant au plan administratif que comptable. C’est cette solution qui s’imposera avec l’arrivée au pouvoir de Villèle et de sa majorité ultra en 1822.
Celle-ci utilisera les techniques parlementaires mais sans aller jusqu’à contredire ses idées, c’est-à-dire en refusant d’aller plus loin, vers une forme de régime parlementaire avancé. C’est dans ce contexte que la procédure des quatre temps alternés a pu se développer. Elle aurait pu disparaître sous les coups d’un gouvernement autoritaire, mais Louis XVIII veillait. Elle aurait pu exploser sous la pression d’un Parlement imposant ses vues au gouvernement. Les Ultras l’empêcheront. Ceux-ci rejetteront en particulier toute proposition d’immixtion parlementaire dans la préparation du budget, ainsi que le demandait Benjamin Constant. Chateaubriand a résumé cette position dans une formule célèbre : « Le budget doit être fait par un ministère et non par les chambres ».
Cette solution marque très durablement et très profondément les pratiques françaises de gestion publique. Elle donne à la procédure des quatre temps alternés, qui n’était qu’un cadre, toute sa consistance. Celle-ci s’est développée dans trois domaines :
         Le travail gouvernemental de préparation et d’exécution
         Le travail parlementaire d’autorisation
         Les procédures de contrôle.
 
I. Le travail gouvernemental de préparation
 
Le ministère des Finances a une longue histoire. Ses pratiques s’inscrivent dans de fortes traditions. Elles varient selon les périodes entre rigueur et dysfonctionnements. On n’en fera pas l’étude ici. On retiendra simplement que de la fin de l’Ancien Régime à la fin de l’Empire le désordre a gagné en ampleur. L’affirmation paraîtra excessive pour la période napoléonienne dans la mesure où l’action de Gaudin et de Mollien, respectivement aux Contributions et au Trésor, bénéficie d’une réputation de bonne gestion financière. Mais force est de constater que les finances napoléoniennes sont dominées par le poids massif des budgets extraordinaires. Toutes les rigueurs proclamées ont été peu ou prou perverties par ces pratiques[1].
C’est à la mesure de ce désordre financier et comptable qu’il faut apprécier les innovations de la période qui suit. Celles-ci peuvent être regroupées dans deux séries de réformes : d’abord la mise en ordre administrative, principalement celle du ministère des Finances. C’est sans excès qu’on peut parler ici de restauration ministérielle ; ensuite la mise en ordre comptable.
 
A. La restauration du ministère des Finances
 
         Elle est réalisée en deux phases. La première est à mettre au crédit du Baron Louis et constitue un préalable indispensable. La seconde est réalisée par Joseph de Villèle.
Le ministère des Finances, dans son acception classique, c’est-à-dire celle d’un ministère assurant d’une part la direction des opérations de recette et de dépense et d’autre part la mise en œuvre des moyens pour obtenir l’équilibre, a disparu avec la Révolution. Il est alors réduit à un simple ministère des Contributions amputé des services du Trésor dès 1791. Il ne sera plus reconstitué jusqu’en 1814 ; l’organisation ministérielle sous l’Empire repose toujours sur la séparation Finances/Trésor.
Dès 1814, Restauration oblige, on retrouve un ministère des Finances complet. Le ministère du Trésor redevient une direction générale. Mais si le ministère retrouve sa plénitude, il retrouve aussi ses défauts : incapacité à imposer ses vues à certains dépensiers, tel le ministère de la Guerre ; émancipation de certaines directions, comme les douanes ou l’enregistrement.
Le Baron Louis ne pourra aller plus loin. Ses successeurs Corvetto et Roy pas davantage. Roy précisera même, allusion aux grands pouvoirs de ses prédécesseurs de l’ancienne monarchie, qu’il n’était point le contrôleur général des dépenses des divers ministères. Le mérite de la mise en ordre revient à Joseph de Villèle.
Villèle est resté ministre des Finances pendant 6 ans, de 1821 à 1827, sans interruption, sous Louis XVIII puis sous Charles X. Son action ministérielle est exceptionnellement durable. Il a en outre bénéficié de trois atouts : il est le chef incontesté de la majorité ultra qui domine la période ; il est également président du Conseil de 1822 à 1827, fonction qu’il conçoit comme une véritable direction gouvernementale ; enfin, il a sous ses ordres un « premier commis des Finances », c’est-à-dire un directeur du Trésor et de la Comptabilité publique particulièrement attaché à la réforme des Finances, Charles-Louis d’Audiffret[2]. Son action aboutit à deux résultats.
         Le ministre de la Guerre, le plus indocile des ministres dépensiers, est mis au pas dès 1822 à l’occasion de l’intervention militaire de la France pour rétablir les droits du roi d’Espagne Ferdinand VII menacé par une révolution. Pour la première fois un chef de gouvernement dicte, au franc près, le cadre financier de l’opération… et le fait respecter.
         L’ordonnance du 4 novembre 1824 organise la réunification des services des Finances. Il s’agit là d’une opération lourde et délicate de nature à soulever maintes oppositions. Elle aboutit à deux résultats : les directions des régies financières sont rattachées directement au ministère des Finances ; l’action de la comptabilité générale et des différentes caisses est unifiée.
 
B. La réforme de la comptabilité publique.
 
Il s’agit ici de contrôler les circuits de recettes et de dépenses. Le problème n’est pas nouveau. Théoriquement l’action complémentaire des ordonnateurs et des comptables doit suffire à assurer ce contrôle : ordonnancements conformes et dépenses justifiées. Dans les faits les dysfonctionnements sont nombreux surtout à la Marine et à la Guerre.
L’article 10 de l’ordonnance du 19 septembre 1822[3] met les choses au point : « Toute ordonnance de paiement et tout mandat résultant d’une ordonnance de délégation doivent lorsqu’ils sont présentés à une des caisses de notre trésor, être accompagnées des pièces qui constatent que leur effet est d’acquitter tout en tout ou en partie une dette de l’Etat régulièrement justifiée ».
La nomenclature des pièces justificatives suit : pour les dépenses de personnel, états d’effectifs, avec grade, emploi, position administrative, durée de service ; pour les dépenses de matériel, copies des décisions ministérielles, contrats de vente, procès verbaux d’adjudication, baux, décomptes des livraisons, etc.
Toutes ces améliorations donnent la possibilité au ministère des Finances de lier réalisation et prévision. C’est ainsi par exemple que Colbert voyait les choses[4]. C’est ainsi également que se faisait avant 1789 la circulation des informations et des flux entre l’état du roi, les états particuliers et l’état au vrai[5]. En cette matière il y avait restauration de l’ordre ancien. Mais la Charte introduisait une donnée nouvelle, de nature politique. Elle prévoyait une autorisation par le Parlement, sous la forme d’un vote dans chaque Chambre, l’une ou l’autre de celles-ci pouvant refuser l’adoption du budget. Comment cette autorisation était-elle intégrée ?
 
 
II Le travail parlementaire d’autorisation
 
Le droit budgétaire qui prend corps dès 1814 est profondément marqué par deux sortes de données : il se développe dans le cadre défini par la Charte, c’est-à-dire dans le cadre d’un fort pouvoir royal, participant pleinement au pouvoir législatif ; il se construit dans le cadre d’une réaction contre les anciennes pratiques accusées de déformer la visibilité des prévisions et la lisibilité des opérations : pluralité des budgets, pratique du produit net, incertitude du temps annuel et globalité des autorisations. A des titres divers tous les budgets, de l’ancienne monarchie à l’Empire, en passant par les solutions révolutionnaires sont marqués par ces défauts. La Restauration met en place de nouvelles règles.
 
         A. La portée de l’autorisation
 
Il revient au roi de proposer la loi, y compris « la loi de l’impôt », celle-ci doit seulement être d’abord adressée à la Chambre des députés. Le vote des deux Chambres, tant des recettes que des dépenses, vaut alors autorisation. Le cadre fixé par la Charte est clair. Sans doute manque-t-il de souplesse tant pour le gouvernement que pour les Chambres.
Très vite la pratique parlementaire apporte les corrections utiles.
         En faveur des Chambres d’une part. Elles parviennent en quelque sorte pénétrer dans la proposition gouvernementale en obtenant la possibilité d’amender le budget. C’est l’article 46 de la Charte qui permet ces amendements mais ils sont à l’initiative du roi. Les Chambres ne peuvent profiter de cette possibilité qu’en faisant accepter leur proposition par le roi. Tout est ici question de dialogue. On remarquera que les Chambres disposent d’un fort pouvoir de pression. Elles peuvent toujours menacer de ne pas voter le budget.
         En faveur du Gouvernement d’autre part. Il peut lui aussi d’une certaine façon pénétrer dans le budget, après acceptation par les Chambres, en le modifiant. L’article 152 de la loi de Finances du 25 mars 1817 permet pour « les cas extraordinaires et urgents » et sous réserve de ratification législative ultérieure d’ouvrir des crédits additionnels.
 
B. Le cadre de l’autorisation
 
Il est fixé par ce qu’on appellera plus tard les « quatre principes classiques ».
         Le principe d’annualité. Ce principe est apparemment simple mais dans les faits il est compliqué par l’usage combiné des comptes d’exercice et des comptes de gestion. C’était déjà une grave source de difficulté avant 1789[6]. Disons simplement que l’ « état du roi »  participait de l’exercice annuel et que l’ « état au vrai » apparaissait sous la forme d’une gestion annuelle. Mais comment vérifier l’un par l’autre alors que les autorisations fixées par l’exercice ne sont pas toutes réalisées au 31 décembre ? La question ne fut jamais résolue sous la Révolution et sous l’Empire.
Il fallait pourtant trancher. C’était une des conditions de la clarification comptable. Louis penchait pour la gestion. Corvetto pour l’exercice. Villèle combinera les deux dans l’ordonnance du 14 septembre 1822. D’abord en empêchant les ministres d’utiliser les reports de crédits d’un exercice sur l’autre : l’article 1 de l’ordonnance de 1822 précise que « les crédits couverts par la loi de Finances pour les dépenses de chaque exercice ne pourront être employés à aucune dépense appartenant à autre exercice ». Ensuite en fixant un terme pour l’ordonnancement ; l’exercice survit après la fin de l’année budgétaire pour une période limitée : les dépenses d’un exercice  sont liquidées et ordonnancées dans les neuf mois qui suivent l’expiration de l’année budgétaire, selon la formule des « droits acquis et des services faits »[7].
         Le principe de spécialité Les Chambres votent-elles le budget par grandes masses ou en détail ? La Charte ne prévoyait qu’un vote global, mais très vite on prit l’habitude de voter par ministère. La loi du 25 mars 1817 demandait simplement aux ministres de comparer leur emploi des fonds votés avec l’ordonnance de répartition des crédits décidée par le roi. C’était une affaire interne à l’exécutif.
         Les députés libéraux critiquèrent, demandant le vote en détail. Villèle résista préférant donner toutes les garanties d’un bon contrôle de l’emploi des fonds. C’est de là qu’est née l’ordonnance du 14 septembre 1822.
Ce n’est qu’avec l’ordonnance du 1er septembre 1827, à une époque ou Villèle est politiquement affaibli, que le vote se fera par branches principales de service, c’est-à-dire par sections, au nombre de 52. Il se fera ensuite de façon de plus en plus détaillées (86 rubriques en 1829) puis sous la Monarchie de Juillet, par chapitres (164 en 1831, 338 en 1848).
         Le principe d’universalité. Ce principe vise à éliminer toute pratique du produit net. Les administrations financières marquées par les anciennes pratiques de perception, collecte ou affermage, étaient particulièrement visées. La loi de Finances du 25 mars 1817 interdit la pratique et la rationalisation ministérielle de 1824 consolide la situation. Mais la règle du produit net persistera ailleurs, en particulier à la Marine avec les perceptions coloniales. Ici encore c’est l’ordonnance du 14 septembre 1822 qui établit l’interdiction générale.
         Le principe d’unité enfin. Ce principe est une forte réaction contre la pratique révolutionnaire et napoléonienne. C’est un principe majeur indispensable à la clarté de la représentation des comptes. Il est affirmé sans nuances sous la Restauration mais dès la Monarchie de Juillet  le principe subit ses premiers aménagements avec la distinction, à l’intérieur du budget, des recettes et dépenses extraordinaires[8].
 
III Les procédures de contrôle
 
         Dans la procédure des quatre temps alternés le contrôle revient au pouvoir législatif, c’est-à-dire aux Chambres. C’est là un pouvoir redoutable, capable de placer le ministère en totale dépendance pour peu qu’on réussisse à mettre en place un efficace contrôle a posteriori des actions ministérielles. Mais tel n’était pas l’esprit de la Charte. C’est sur ce terrain que Villèle a particulièrement déployé sa capacité de manœuvre politique et ses qualités parlementaires : face à l’option parlementaire on pouvait opposer trois autres solutions : la solution administrative, celle du contrôle endogène ; la solution juridictionnelle assurée par la Cour des Comptes ; la solution parlementaire tempérée, mélange des deux précédentes.
 
A. le contrôle administratif
 
Il est fondé sur l’ordonnance du 14 septembre 1822 et sur les textes d’application. C’est Charles-Louis d’Audiffret qui en est le maître d’œuvre.
         Pour mettre en œuvre un tel contrôle il faut trois conditions : un exécutif scrupuleusement obéi par ses services ; une tenue des comptes sans reproches… et une réelle capacité de sanction administrative en cas de manquement. L’élargissement en 1816 de l’ancienne inspection du Trésor en Inspection générale des Finances illustre cette volonté de contrôle. Mais trop de dysfonctionnements comptables le rendent inopérant.
C’est à la mesure de ces difficultés qu’il faut apprécier l’action d’Audiffret et de Villèle. Leur crédibilité passe par leur capacité à discipliner les services comptables. C’est  par ce moyen qu’ils peuvent espérer désarmer les opposants parlementaires. La pièce de base de ce système est la déclaration générale de conformité définie par l’ordonnance du 14 septembre 1822, article 22 : elle est délivrée par la Cour des Comptes  « au vu du relevé des comptes individuels et des pièces justificatives que doivent exiger les comptables » et de « l’exactitude des comptes généraux publiés par le ministre des finances et par chaque ministre ordonnateur ». La Cour des Comptes devient ici, grâce à cette procédure, le plus efficace allié du gouvernement contre une extension du contrôle parlementaire direct.
 
B. Le contrôle juridictionnel
 
         Il est exercé depuis 1807 par la Cour des Comptes mais ce contrôle ne porte que sur une partie des opérations financières de nature publique. La situation n’évolue que très progressivement. A la fin de la Restauration le contrôle ne touche toujours qu’une partie des comptes. L’action d’Audiffret qui se prolonge pendant la Monarchie de Juillet à travers les deux grandes codifications de la comptabilité publique de 1838 et 1862 donnera à ce contrôle toute son efficacité[9].
         Ce contrôle est affecté d’autres insuffisances. On signalera en particulier le nombre réduit de pièces justificatives des dépenses fixé par l’ordonnance de 1822. Villèle, en pleine bataille parlementaire, avait voulu être prudent face aux réclamations de députés qui voulaient étendre la nomenclature des pièces justificatives pour faire pression sur les ministres. Le débat se poursuivra sous la Monarchie de Juillet. La Cour des Comptes ne pouvait se satisfaire de la situation. Elle parviendra sous la Monarchie de Juillet à réaliser une extension jurisprudentielle de cette nomenclature, contre l’avis de l’administration[10].
Ces contrôles sont complétés par deux autres interventions de la Cour, « la déclaration générale de conformité » d’une part, le « rapport annuel » d’autre part. On a vu quelle utilité présente le premier document pour l’information du ministère des Finance. Le second document présente un intérêt plus politique.
Ce rapport trouve son origine dans les pratiques du Consulat : l’une publique prescrivait à la Commission de comptabilité nationale de remettre au gouvernement, chaque trimestre, l’état de ses travaux. La Cour des Comptes reprendra à partir de sa création en  1807 cette pratique.
L’autre pratique est secrète : un comité spécial de la Cour des Comptes est chargé d’établir à partir des « second cahiers d’observation des référendaires » un rapport concernant « les abus coupables qu’il y aurait quelque inconvénient à mentionner dans les arrêts ». Il devait être remis à l’empereur. La Restauration héritera de ces pratiques et fusionnera les deux documents sous la forme d’un rapport annuel remis au roi[11].
 
C. Le contrôle législatif.
 
         Il s’effectue sous la forme d’une « loi de règlement des comptes » intervenant très rapidement après la clôture de l’exercice. Mais sous quelle forme et à partir de quelles bases ? Les Chambres sont démunies de renseignements et aucun comité n’est là pour organiser ce contrôle.
La loi de Finances du 25 mars 1817 réclamait un contrôle parlementaire réel mais ne fixait pas les moyens. La loi de finances du 27 juin 1819 va plus loin et précise que le compte annuel des finances, celui du ministre, « sera accompagné de l’état de situation des travaux de la Cour des Comptes au 1er septembre de chaque année ». L’opposition, à l’époque ultra, objecta qu’on faisait ainsi de la Cour des Comptes un auxiliaire du pouvoir législatif en contradiction avec la loi de 1807 qui n’autorisait que la transmission des renseignements au gouvernement.
 L’affaire en resta là, mais Villèle, une fois parvenu au gouvernement, maintint fermement son opposition au motif que  cette procédure aurait indirectement fait de la Cour des Comptes un juge des ordonnateurs. Par contre on pouvait toujours, estimait Villèle, transmettre aux Chambres, non le rapport annuel, et surtout pas ses parties secrètes, mais « une déclaration générale de conformité des comptes ministériels ». C’est sur cela que devait se fonder l’examen de la loi des comptes.
L’exécutif avait gagné la partie, déviant en quelque sorte l’offensive des Chambres. Sa victoire était double : il restait maître de l’établissement des comptes soumis au contrôle et surtout il évitait la formation d’une institution d’origine parlementaire compétente pour élaborer ces comptes.
La revanche des Libéraux sous la Monarchie de Juillet qui obtiennent avec la loi du 21 avril 1832 que le rapport annuel de la Cour des Comptes soit remis aux Chambres viendra trop tard  pour modifier fondamentalement la nature du contrôle législatif mis en place sous la Restauration.
 
L’exécutif conservait ainsi la maîtrise de la gestion des Finances publiques. La conclusion s’impose d’elle-même : cette solution s’inscrit dans une grande tradition française.
 Certes ! Mais l’approche est trop réductrice et ne rend pas compte de l’originalité de la solution. Le jeu parlementaire a eu un effet déterminant. Un gouvernement livré à lui-même aurait, au mieux, poursuivi les pratiques de la période napoléonienne. Des Chambres libérées de toute tutelle gouvernementale auraient très vite paralysé l’action de l’exécutif. Dans tous les cas le dialogue et la confrontation auraient été impossibles. Toute entreprise de modernisation des pratiques de gestion publique aurait été vouée à l’échec. Peut-être durablement car rien ne permet de dire que les régimes suivant y seraient tout de même parvenus dans de bonnes conditions. Audiffret, témoin et acteur d’un demi siècle de débats comptables et budgétaires, saurait parfaitement nous en convaincre.
 

[1] L’extrême opacité de la gestion de l’Extraordinaire sous le Premier Empire éclaire le rejet de ces pratiques sous la Restauration. Sur les Finances de cette période voir les trois études de Pierre Branda, « Les Finances et le Budget de la France napoléonienne », Revue du Souvenir napoléonien, N° 456, 457 et 458, 2005.

[2] Charles-Louis-Gaston d’Audiffret, Souvenirs de ma famille et de ma carrière dédiés à mes enfants, 1787-1878, Edition critique présentée et annotée par Michel Bruguière et Valérie Goutal-Arnal , Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, Paris, Ministère de l’Economie et des Finances, 2002

[3] Michel Bottin, « Villèle et le contrôle des dépenses publiques. L’ordonnance du 22 septembre 1822 », in Actes du Colloque La comptabilité publique, continuité et modernité, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, Imprimerie Nationale, Paris, 1995, pp. 8-30.

[4] Henri Legohérel, Les trésoriers généraux de la Marine (1715-1789), Paris, Cujas, 1965 

[5] Claude Meriot, La comptabilité publique au XVIIIe siècle, Thèse droit, Paris, 1983 

[6] Michel Bottin, « Les origines comptables du principe d’annualité budgétaire », in Le temps et le droit, Actes des Journées internationales d’Histoire du droit, Nice 2000, Nice, Serre Editeur, 2002, pp. 91-105.

[7] Michel Bottin, « Villèle et le contrôle des dépenses publiques. L’ordonnance du 22 septembre 1822 », op.cit, p. 13.

[8] Michel Bottin, « Les budgets extraordinaires d’Achille Fould. Réflexions sur le classicisme en droit budgétaire », in Hommage à Jacques Basso, France-Europe Editions, Nice, 2006, pp. 87-107.

[9] « Introduction historique au droit budgétaire et à la comptabilité publique de la période classique », in Histoire du droit des finances publiques, dir. H. Isaïa et J. Spindler, vol. 1, Economica, 1986, pp. 3-31.

[10] Robert Ludwig, « La querelle des nomenclatures. 1837-1842 », La Cour des Comptes, Paris, Ed.  CNRS, 1984, pp.450-473.

[11] Michel Bottin, Histoire des finances publiques, Editions Economica, Paris, 1997, p. 83.

 

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